SELVA / FWB
SELVA explore comment les peuples indigènes d'Amazonie se connectent aux êtres spirituels qui peuplent les mondes invisibles à travers les chants sacrés. Les chants sacrés sont des ponts qui permettent des relations entre des êtres différents qui ne partagent pas la même condition vitale ou n'habitent pas le même espace-temps. Les chants sacrés amazoniens sont censés venir du cœur éclairé par la connaissance des esprits eux-mêmes. Pour les nations amazoniennes, le cœur est le siège de la pensée. Grâce à la parole chantée (la parole des temps mythiques), les pensées vont dans le monde et sont entendues par les esprits. Plus que les mots des chants, les pensées qu'ils contiennent et les intentions avec lesquelles ils sont chantés permettent de communiquer avec les êtres qui peuplent les mondes, visibles et invisibles.
Les peuples indigènes amazoniens croient généralement en l'universalité du langage, selon laquelle les facultés linguistiques appartiennent à tous les êtres vivants, sans distinction entre les humains et les non-humains. Les histoires traditionnelles disent que tous les êtres (animaux, plantes, étoiles et esprits) partageaient la même langue au temps du commencement. Les chants sacrés peuvent réactiver ce temps mythique et ce langage commun. La force du cœur de chaque chanteur, la puissance de ses pensées et les liens qu'il a établis avec les êtres des mondes invisibles détermineront si les chants affecteront le monde de la matière dense.1
L'Amazonie est plus qu'une forêt, c'est un véritable univers, un continent d'eaux, où convergent 18 méga-bassins fluviaux, ceux-là mêmes qui reçoivent les eaux de pas moins de mille sous-bassins. C'est une zone continentale couverte de forêts tropicales sur lesquelles neuf États exercent leur souveraineté. Mais au-delà d'être considéré comme une grande masse homogène de végétation, il existe une culture et un paysage social. Pour comprendre la diversité de la vie et des paysages qui sont restés préservés en Amazonie, il est nécessaire de reconnaître le rôle des peuples autochtones dans la protection de leurs territoires à travers leurs traditions et leurs connaissances. Ces territoires occupent actuellement 27,5% de l'Amazonie, soit 2,3 millions de km2. Il y a 410 groupes indigènes qui y vivent, dont 82 sont en isolement volontaire.2
Ancestralement, les peuples indigènes ont coexisté avec la forêt amazonienne dans un équilibre qui permet aux écosystèmes de rester dans des conditions proches de ce qui correspond à leur évolution naturelle. Les mécanismes de coopération qu'ils ont établis avec la nature ont permis de préserver la plus grande forêt tropicale du monde.
SELVA immerge le spectateur dans les visions dans lesquelles les peuples indigènes des Amazones se rapportent au monde. Le projet part d'une question : Comment initier un échange entre deux cultures qui ont développé des systèmes complètement différents de connexion à la planète ?

L'objectif de cette recherche est d'établir un dialogue avec diverses ethnies indigènes d'Amazonie. L'échange se fait dans la rencontre de deux sciences, indigène et occidentale. La science occidentale est objective et quantitative, par opposition aux connaissances traditionnelles, qui sont principalement subjectives et qualitatives. La science occidentale est basée sur une transmission académique et lettrée, tandis que les connaissances traditionnelles sont souvent transmises oralement d'une génération à l'autre par les anciens.3
Dans le monde entier, chaque être humain a un point de vue qui répond à son besoin d'orientation et de positionnement dans la réalité. La conceptualisation du cosmos et de sa relation avec les êtres humains est un produit culturel socialement acquis. Chaque culture s'interroge sur les raisons pour lesquelles les choses sont ce qu'elles sont, mettant en évidence les bases légitimes de l'ordre social. Les formes scientifiques et culturelles de perception, d'interprétation et d'explication du monde distinguent une société d'une autre et impliquent des dimensions temporelles et spatiales. Elles intègrent également des systèmes de classification.
Selon la pensée amazonienne, l'univers a une vitalité et est animé. Chaque entité matérielle ou physique a sa contrepartie spirituelle, qui a généralement une forme humaine, bien que les êtres humains ne perçoivent généralement que les manifestations apparentes de la réalité matérielle. Les récits mythiques affirment l'existence d'esprits et de forces supérieures qui contrôlent et déterminent, d'une certaine manière, la vie des gens. Parmi les notions relatives à la dynamique de la vie, on trouve l'homologation des faits de la nature et de ceux de la vie sociale et l'existence d'un réseau universel reliant le monde supérieur et le monde inférieur aux écosystèmes et à la société humaine.
Les traditions indigènes latino-américaines sont généralement organisées autour de la médiation de la figure du chaman, du maître (jaibaná chez les Embera, mamo chez les Arhuacos, Taita chez les Ingas, grand-père chez les Uitotos). Cette personne est le détenteur de la sagesse ancestrale. La signification des formes et du symbolisme se transmet de génération en génération.
Les chants des maîtres visionnaires ne sont pas des descriptions poétiques de sentiments mais des instruments magiques qui cherchent à agir sur la réalité concrète du monde visible. La puissance de la parole, qui retrouve son pouvoir mythique, transforme le monde. Les chants ont donc en eux le pouvoir des bonnes paroles que le maître prononce, et ce pouvoir est presque matériel, car il est capable d'être avalé comme de l'eau. Lorsqu'un maître visionnaire puissant chante, ses paroles tissent un chemin lumineux sur lequel descendent les esprits. A son tour, le maître monte sur ce même pont de lumière et va parcourir les territoires astraux où habitent ces mêmes esprits. Les chants sont l'expression du chemin qui relie les humains aux esprits.4

1 Llamando a los espíritus: Cantos sagrados de la Amazonía. Pedro Favaron. Université de Montréal, 2011
2 Atlas Amazonía Bajo Presión, page.13, 2020. RAISG https://www.amazoniasocioambiental.org/es/publicacion/amazonia-bajo-presion-2020/
3 Mazzocchi F. Western science and traditional knowledge. Despite their variations, different forms of knowledge can learn from each other. EMBO Rep. 2006 May;7(5):463-6. doi: 10.1038/sj.embor.7400693. PMID: 16670675; PMCID: PMC1479546.
4Shipibo - Territorio, Historia y Cosmovisión. Universidad Mayor de San Marcos. Lima - Perú, 2012